UN VILLAGE SI TRANQUILLE ….
Les
phares restèrent un petit moment braqués sur le lavoir … En soupirant, Vincent
réajustant ses lunettes, ouvrit sa portière, déplia sa carcasse et s’extirpa de
son vieux 4/4.
Il
remonta le col de son trench, un véritable Burburry’s, et s’avança vers le
lavoir illuminé. Il l’examina en spécialiste, et décréta : «
Toi, mon coco, on va pas tarder à se revoir…. ». Puis, il se dirigea vers
l’autre sujet de ses
attentions, l’église romane du XIIème siècle, en pleine réfection.
Il venait se
rendre compte de l’évolution du chantier, et en bon inspecteur des monuments
historiques devait veiller au respect de toute la règlementation inhérente à ce
genre de projet. Il aimait bien arriver à ce moment- là du chantier, parce que
généralement, c’était celui où on pouvait facilement s’apercevoir de toutes les
entourloupes possibles : matériaux non-conformes, techniques modernes,
bâclage général….
Vincent
faisait aussi exprès d’arriver la veille du jour où la réunion de chantier
était prévu pour se mettre dans l’ambiance.
Son territoire de prédilection était d’habitude le sud du pays avec
ses ocres, ses grès du Luberon.
Vincent avisa le seul hôtel du
village. Il s’engouffra dans l’entrée, accueillante, fleurie, et se dirigea
vers le comptoir où trônait une
avenante méduse. Elle agita son corps, formé d’un bloc vert, et ses bras-tentacules
vers le nouveau venu. Surpris de la voir sur des jambes, mais néanmoins poli,
Vincent se présenta :
« Bonsoir, je suis l’attaché aux
monuments historiques. Vous devez avoir une réservation pour moi… »
Ce à quoi la méduse
répondit :
« Mais monsieur, on
ne vous attendait que demain ! »
Sans aucun souci de discrétion, elle détailla l’homme en face d’elle :
la bonne cinquantaine, grand, mince, sans la bedaine habituelle, le cheveu dense,
bouclé, grisonnant des rides rieuses autour des yeux. L’examen sembla positif,
et la méduse s’adoucit :
« Remarquez, votre chambre
est déjà prête, alors vous êtes le bienvenu. Les autres chambres sont occupées
par les ouvriers du chantier de l’église. Ils se couchent tôt et ne sont pas
bruyants. Vous avez dîné, monsieur ?
-Oui, oui, mentit Vincent, affolé
à la perspective d’un tête-à-tête avec la méduse.
-Bien, bien….Sinon, j’aurais pu
vous faire une omelette, ma spécialité… L’omelette de Geneviève est très connue
dans le coin … Geneviève, c’est mon prénom précisa l’hôtelière dans un sourire
d’au moins cinquante-deux dents.
-Je vais aller chercher mon
bagage et je reviens, argua Vincent pour se sortir des tentacules de Geneviève.
- Vous êtes à la 12, monsieur,
vous verrez c’est calme… L’église ne sonne qu’à partir de 7 heures, le matin.
Vous allez bien vous reposer avant d’attaquer la journée! »
Les gonds de la porte auraient eu
besoin d’être huilés, mais çà pouvait faire partie du charme de ce genre
d’établissement. Toutefois, il fut surpris par la décoration de la chambre.
S’attendant à un papier peint suranné, des édredons fleuris, et une armoire normande,
il se retrouva dans une ambiance plutôt lounge, avec un lit king size et des
couleurs sobre, rares en ce début des années 2000. La salle de bain, petite
mais propre conforta cette bonne impression.
Tandis qu’il se brossait les dents, il se livra à l’examen de son reflet. Sans
concession aucune il se concentra sur son visage. Ses paupières commençaient à
tomber, affadissant son regard gris -vert, ses joues se creusaient, comme si la
chair qu’il perdait à cet endroit se
concentrait autour de son cou pour l’épaissir. « Rien ne se perd, tout se
transforme, se consola t’il ….Cet examen devient de plus en plus
déprimant ! Heureusement, j’ai encore mes cheveux, gris mais bien là…Le
reste, on verra demain !!! .
Allongé sur le ventre, en travers
du grand lit, Vincent ouvrit son ordinateur pour se remettre en mémoire le
chantier du lendemain. Alors qu’il allait basculer vers sa boîte mail, un
message s’imprima sur son écran. Aussi bref que succinct, Vincent eut le temps
de lire « Ayùdame »….
Vincent cru à un spam ou une
nouvelle forme de publicité quelconque, mais le message le mit mal à l’aise. C’était
un peu osé d’envoyer une demande d’aide, comme çà, en espagnol, comme une
bouteille à la mer.
« Remarque c’est efficace,
çà incite à vouloir en savoir plus, se dit Vincent. Vraiment ces publicistes
feraient n’importe quoi pour accrocher le client ! Je me demande ce que
sera leur prochaine action. »
Les cloches de sept heures remplirent
bien leur office et surprirent l’endormi qui sursauta. Le cœur battant la
chamade, il se remémora sa nuit, par bribes : agitée, et peuplée
d’impressions désagréables, de celles qui laissent épuisé le matin.. Les bruits
de canalisations commençaient à agiter l’hôtel et Vincent se secoua pour aller
se doucher. L’eau chaude le détendit, mais en fermant les yeux, une image s’imposa :
la même que celle de cette nuit dans ses rêves: celle d’une femme avec un
foulard sur la tête d’où quelques mèches blondes s’échappaient.
Agenouillée, son sourire se déformait sur un mot muet « Ayùdame… ».
« Il faut que j’arrête de lire du Stephen
King, çà me perturbe sérieusement. Cà devient n’importe quoi, là ! se dit
Vincent en se séchant. »
Plusieurs hommes étaient déjà
attablés quand il descendit pour le petit déjeuner. Ils le saluèrent et Geneviève,
habillée en bleu électrique aujourd’hui,
le présenta. Il put en apprendre un peu plus sur le village. A savoir que le maire, qu’il
allait rencontrer à sa réunion de chantier n’était rien de moins que le fils du
châtelain.
C’est vrai qu’en arrivant,
Vincent avait remarqué la belle bâtisse, mais dans la nuit, il n’avait pas
remarqué que c’était un château.
Il arriva en avance, pour « humer »
le chantier. Parcourir à mains nues les saillies des pierres, les caresser,
sentir leurs vibrations … Depuis tout
jeune, il était sensible aux pierres et à toute l’énergie qui pouvait émaner
d’elles. Il se gardait bien d’en faire étal, conscient que ce genre de
confidence pouvait le faire basculer dans la catégorie des
« allumés » si cela venait à se savoir. Il était de ceux à qui les
pierres « parlent ». Des images, des bruits s’imposaient à lui quand
il les touchait. Enfant, il pensait que tout le monde avait le même ressenti,
mais devant les mines inquiètes, puis suspicieuses de son entourage, il avait
appris à se taire. Il cacha son secret d’abord
comme une maladie honteuse, puis en
grandissant l’envisagea comme possibilité de plus qui s’offrait à lui.
Naturellement, il avait voulu
s’orienter vers une formation de tailleur de pierres. Malgré un travail
acharné, et un maître d’ouvrage assez pédagogue, il dut renoncer. Il écorchait
la pierre plus qu’il ne la sculptait, Ce ne fut pas la décision la plus facile
à prendre, mais elle s’avéra faste pour
son avenir. Son père était ravi et l’encouragea dans ses études d’Histoire de
l’Art qui durèrent le temps d’un doctorat. Les voyages, les rencontres,
l’intérêt toujours éveillé par le travail des artistes et des artisans contribuèrent
à faire oublier sa prime vocation, sans regret.
Pour le moment, il allait devoir enfiler son
air d’inspecteur, poser des questions et bien écouter les réponses. Quand il arriva, le
maire se présenta : un taiseux à la
poigne franche devina Vincent. Le premier magistrat de la commune présenta le
curé : le père Jérôme, un vieux monsieur de plus de 80 ans, encore actif,
aux yeux sondeurs d’âmes.
Le chef de chantier, M.Retso,
proche de la retraite, était plutôt du genre brut de décoffrage, râblé et avare
de gestes. Il exprimait de tous ses pores l’inutilité de ce genre de réunion où
il devait rendre compte de son travail et de celui de ses gars, comme il les
appelait. Résigné, il ouvrit la marche vers le chantier.
Dehors, Vincent commença à
caresser les pierres comme à son habitude, mais s’arrêta très vite, puisque la
pierre dominante de la région était le silex : dure, mais coupante !
Cependant, il s’attarda sur les joints d’une partie du mur et appela le chef de
chantier, M. Retso, lui faisant remarquer l’apparente friabilité du mortier, due sans doute à une
trop grande quantité de sable. Retso en convint, promettant de le refaire.
« Ne lui tapez pas trop sur
les doigts !!!!Avec la pluie que l’on a eu, c’est un miracle que les
travaux en soient à ce stade, avança
prudemment le maire pour alléger l’atmosphère.
-Ce sont sans doute les prières
de notre bon curé qui ont fait leur preuve entendit-on alors. Apparut alors la
réplique du maire, avec trente ans de plus et une canne de marche. Se
présentant comme » le père de ce grand garnement » en même temps
qu’il désignait son fils, avec un grand sourire.
- On a failli t’attendre
rétorqua gentiment ledit garnement qui affichait quand même une bonne
soixantaine.
- Le chemin s’allonge toujours
un peu plus et je m’arrête de plus en plus pour admirer le paysage ! Mais
je suis ravi de rencontrer un membre des monuments historiques ».
Le châtelain salua chacun d’une
poignée de main, et son fils l’embrassa.
La visite de chantier prit fin et
il fut convenu que le nouveau mortier devait être posé dès le lendemain,
permettant un certain degré d’avancement qui permettait l’octroi d’une nouvelle
subvention pour continuer les travaux. Logique de l’administration qui
distribuait au compte-goutte ses précieux deniers.
Comme Vincent en avait l’habitude, le maire
l’invita à dîner, chez lui, le soir même, précisant que sa femme était une
super cuisinière. Il redoutait ce genre de soirée, à dire vrai, mais accepta l’invitation avec un semblant
d’enthousiasme.
Son inspection quasi terminée,
Vincent pris quelques clichés des
travaux et se dirigea vers le lavoir.
Il s’accroupit pour toucher les
pierres du sol. Elles étaient douces, polies, par l’usure des frottements des
genoux des femmes qui pendant des
centaines d’années avaient lavé, battu et essoré le linge de tout le village… Autour de ces
pierres, des paroles, des rires et des pleurs avaient été échangé. C’était sans
doute aussi un lieu de rendez-vous … Il pouvait entendre des rires, des chants,
le brouhaha des discussions passées comme s’il était au milieu des lavandières.
Pourtant un courant d’air glacé le cloua sur place quand continuant d’effleurer
les pierres il arrêta net son geste. L’une d’entre elles présentait des
rugosités inhabituelles. Dépoussiérant la tommette, Vincent constata qu’elle
était gravée, et il s’apprêtait à déchiffrer l’inscription lorsqu’il vit le châtelain
désirant visiblement le rejoindre. Le vieux monsieur descendit prudemment
les quelques marches et prit la parole quand il fut près de Vincent.
« Je vois que vous avez
trouvé mon inscription. Vous l’avez lue ?
-Je m’apprêtais à le faire…
- Inutile, je vais vous dire ce
qui est inscrit. Le vieil homme soupira, ferma les yeux et déclama
« Désormais, l’eau ne chantera plus … »
- C’est particulier, çà sonne un
peu comme une épitaphe, non ? Risqua Vincent.
- S’en est une en quelque sorte.
Je l’ai dédiée à une femme qui fut notre dernière lavandière, décédée ici, en
plein travail, en lavant les draps du château. C’était en 1961…
- Bonne année, s’il en
est ! C’est celle de ma naissance…
- Sans doute ! Mais elle
fut fatale à notre Miranda. Je dis notre
parce que tout le monde lui était attaché… C’était une femme qui n’avait
pas son pareil pour blanchir le linge. Elle chantait pendant qu’elle
travaillait, et comme personne ne comprenait rien à ses chants, on a eu vite
fait de penser que les paroles étaient magiques… Vous savez comment sont les
gens, hein ?!
-Je vois à peu près de quoi vous
parlez. Mais pourquoi personne ne comprenait rien aux paroles des
chansons ?
-Parce que Miranda était
originaire d’Espagne, et qu’ici, franchement, on est loin des Pyrénées…
- Et si on s’installait
confortablement sur le banc là-bas. Vous pourriez me raconter cette histoire,
non ?
-Si vous avez le temps d’écouter
un vieux radoteur, pourquoi pas… » proposa Vincent qui n’oubliait pas le
message mystérieux et sa nuit agitée.
Ils s’assirent et s’adossèrent
d’un même mouvement. Le vieil homme reprit son récit et Vincent photographia le
lavoir sous toutes ses coutures.
« Miranda est arrivée
d’Espagne, juste après la guerre, la nôtre, parce que dans son pays c’était
toujours la guerre civile. Elle en était partie, chargée seulement de ses 22
ans et après un long voyage elle a atterri dans ce village. Sans papiers, bien
sûr, mais belle, blonde forte de sa jeunesse et de ses convictions …
-Blonde ? Comme la femme de
mes cauchemars se dit Vincent.
-Et oui, mon ami… blonde !
S’amusa le châtelain. Je ne vous ferai pas l’offense de vous rappeler que les
celtes ont visité la Galice, et que
forcément leurs descendants sont plus des blonds à la peau claire que des bruns
hâlés. Bref, cette jeune femme était travailleuse, et voulait juste vivre en
paix. D’un commun accord entre les notables du village de l’époque, on lui
a fourni des papiers, pour régulariser
sa situation aux yeux de tous. A l’époque, on pouvait se permettre d’être un
peu cavalier avec les lois mais on était, au sortir de la guerre. Miranda était courageuse et ne rechignait pas
à la tâche. Elle trouva un emploi de lavandière qu’elle exerçait avec tout le
talent dont je vous ai déjà parlé. En plus, elle aidait parfois en cuisine au
château et Irma, notre cuisinière d’alors n’hésitait pas à faire appel à elle pour
épater nos convives. Elle avait ses
spécialités : bien évidemment la paëlla, mais aussi des desserts comme les crèmes brûlées. Elles
avaient un je ne sais quoi, que je n’ai jamais retrouvé….
-Et elle ne s’est pas
mariée ? demanda Vincent
-Si !!!! Jolie comme elle
l’était, vous pensez ! Elle rencontra un gentil gars, doué de ses mains.
D’abord menuisier, il apprit ensuite le métier d’électricien et comme il était un
des rares dans la région, il avait beaucoup de travail. Ils eurent une petite
fille, en pleine santé, et passèrent les années sans trop de soucis. Mais…Bon, il est tard et mon épouse va m’attendre. Le
temps que j’arrive au château et il sera
l’heure du déjeuner. Je vous dis à ce soir, Monsieur, nous nous verrons chez
mon fils.
-A ce soir, donc. Et merci pour
ce commencement d’histoire… »
Le vieux monsieur se leva et
renfonça son chapeau, avant de s’aider de sa canne pour se lever du banc. Vincent,
voyant qu’il s’en sortait très bien et connaissant la susceptibilité des plus
âgés ne proposa pas son aide. Il respira
un grand coup, remit de l’ordre dans ses idées, et se dit qu’objectivement la
« personne «qui lui demandait de l’aide ne pouvait être que cette
lavandière espagnole. La raison, par contre, il ne la connaissait toujours pas.
Il allait devoir aller à la pêche aux renseignements, mais discrètement…
Le curé devait l’avoir connu. Il
avait cru comprendre qu’il était au village depuis toujours. Vincent rejoignit
l’église et constata qu’au moins deux ouvriers étaient en train d’enlever le
joint trop friable. Leur boss était un type fiable et responsable, il faisait
ce qu’il disait…
En rentrant dans l’église,
Vincent vit le curé derrière l’autel, occupé
à écrire. Celui-ci laissa son crayon en suspens dès qu’il vit le nouvel arrivant.
Un sourire lui fendit le visage et il descendit doucement vers Vincent.
« Alors, comment trouvez-vous
notre beau village, cher monsieur ?
-Sympathique, sympathique,
jusqu’à présent, approuva Vincent. L’église est entre de bonnes mains, et le
lavoir pourra conserver son authenticité.
-Nous y sommes très attachés,
savez-vous.
-J’ai cru comprendre qu’il avait
été l’endroit où votre dernière lavandière est morte, non ?
- Oui, la malheureuse…. Mais c’est une vieille histoire çà !
- Mais vous-même, vous l’avez
connue, non ?
- Bien sûr !!! Miranda n’avait
pas son pareil pour blanchir le linge,
il sentait le frais, et la menthe… je n’ai jamais retrouvé ce parfum
avec les lessives. J’ai été un de ces derniers clients avec le château, je
crois… Pauvre Miranda !!!Elle n’avait pas mérité çà ….Et sa famille non
plus. Elle avait deux enfants, vous savez ! Son mari n’a pas bien supporté de rester
ici... trop de souvenirs. Il est parti un mois après, et on n’a plus jamais eu
de nouvelle. Avec son métier, il n’a eu aucun mal à remonter une entreprise
dans la région parisienne !!
-Elle avait un problème de santé,
Miranda ?
-Officiellement son cœur a lâché
en plein effort….
-Officiellement ???????
Gêné, le curé commença à se
dandiner d’un pied sur l’autre, mais c’est décidé qu’il continua la
conversation :
-C’est pas facile à dire, et çà
fait plus d’un demi-siècle maintenant que çà s’est passé… On ne peut pas juger
sans savoir…..
Vincent qui aimait les situations claires, précisa :
-Vous êtes en train de me faire
comprendre qu’en fait son cœur n’a pas lâché ?
Le prêtre baissa les yeux, respira,
rougit, rerespira bruyamment et se décida à lâcher :
-En fait, on a retrouvé son
corps dans le lavoir…. Elle avait une méchante bosse derrière le crâne, une
très grosse bosse …dont on peut supposer qu’elle est la cause de sa mort.
-Et qu’en ont conclu les gendarmes
à l’époque ? demanda naïvement Vincent.
Le curé devenait écarlate, mais
encaissa la question.
-Il n’y a pas eu d’enquête, avoua
t’il. C’est une vilaine histoire, qui disparaîtra en même temps que
les plus vieux du village. Il faut comprendre qu’à cause des papiers qu’on lui
avait fournis, pour la protéger, on risquait gros…. On a décidé de ne rien dire
aux gendarmes. Son mari n’en a jamais rien su non plus. Cette histoire aurait
fait plus de mal que de bien….Pour tout le monde, Miranda est décédée en
travaillant… »
Le curé soupira, évita le regard
de Vincent, prétexta son sermon à
terminer, pour les planter au milieu de la nef, lui et ses questions !
Estomaqué par la façon dont il
venait d’apprendre cette nouvelle, mais persuadé que sa blonde vision lui
demandait de l’aide pour trouver le coupable et le mobile de sa disparition,
Vincent enfila sa casquette d’enquêteur.
D’abord, nourrir les neurones
pour que le cerveau fonctionne à plein rendement.
Il avisa le seul établissement
qui pourrait remplir cet office, et se sentit prêt pour l’omelette de
Geneviève.
Il s’installa dans le restaurant
et quand il goûta ladite omelette avec sa roquette, il se dit que la patronne
n’avait usurpé sa réputation. Le repas le mit tellement de bonne humeur que
lorsque Geneviève s’invita de sa propre
initiative pour partager son café, il ne trouva rien à redire. .. . Comme elle
lui demandait ce qui lui ferait plaisir pour son dîner et le lendemain, Vincent
opta pour la franchise et répondit qu’il ne connaissait pas vraiment la durée
de son séjour et que ce soir, le maire
l’avait invité.
« Vous allez vous
régaler !! Sa femme Marthe est une cuisinière hors pair… Elle a de qui
tenir, remarquez, et elle aurait pu, elle aussi en faire son métier….
-Pourquoi elle aussi ?
-Sa mère était Irma, la
cuisinière du château, et Marthe l’aidait quand elle revenait en vacances. Le
reste du temps, elle était dans un pensionnat à Chartres. C’est qu’elle était
douée pour les études, la petite Marthe. Elle est allée jusqu’au barreau, vous
savez, et c’est là qu’elle a retrouvé notre Christian…
-Votre Christian ? Votre
fils ???
-Naaaan, ce que vous êtes drôle !
Christian et moi, on a le même âge…. c’est notre maire.
Généreuse dans la confidence,
Geneviève ne demandait qu’à raconter l’histoire des tourtereaux.
-Christian a été avocat, et
c’est à la fin de leurs études que ces deux-là se sont aperçus qu’ils étaient
faits l’un pour l’autre. Pourtant ils ne se fréquentaient pas enfants… Pas le même
monde !!! Et leurs parents respectifs y veillaient…
-Cà a dû faire des étincelles
quand ils ont annoncé leur mariage….
- Pas vraiment… Tout le monde
savait qu’ils s’aimaient et puis le scandale après …
- Après quoi ? demanda Vincent.
Geneviève se trémoussa, se racla
la gorge, et confia :
-Après la mort de la malheureuse
lavandière, on ne sait pas pourquoi une vague de tolérance a envahi le village… Plus cool, comme on dit
maintenant souligna Geneviève d’un clin d’œil.
Avec un sourire tout commerçant,
la méduse prit congé de son hôte en se soulevant de sa chaise et alla s’activer derrière son comptoir
–bureau.
Vincent, décida d’aller remettre
de l’ordre dans ses idées et dans les photos prises du chantier .Dans sa chambre,
son PC sur les genoux, il commença à visionner ce qu’avait enregistré sa carte
mémoire. Les photos du chantier révélaient bien la qualité des travaux.
Toutefois, à l’intérieur de l’édifice, Vincent remarqua au pied d’un pilier une pierre visiblement décelée. N’écoutant que
son devoir, l’inspecteur des monuments historiques se rendit sur place.
L’église était encore ouverte,
mais le prêtre invisible. Vincent se rendit immédiatement sur le pilier à la
pierre décelée. Il s’agenouilla, et constata que la pierre était légère à
bouger. Des deux mains, il tira dessus et aussitôt des images affluèrent dans
le cerveau du curieux, immobilisant son geste. La vision d’un morceau de bois taillé s’imposa.
Vincent, qui n’en avait pas revu de tel depuis ses études, l’analysa comme
étant un battoir à linge, avec gravées
sur le court manche, des initiales en majuscule : MR.
Il entendit du bruit dans
l’église et aussitôt la vision s’estompa, laissant place à celle d’un curé inquiet,
penché vers lui.
« Vous vous sentez mal ?
Besoin d’aide ? Un verre d’eau, monsieur ? demanda-t-il à
Vincent ?
-Non, je crois que ça va aller
….çà va passer…Je cherchais…enfin je me demandais pourquoi cette pierre était
décelée. Vous le savez-vous ?
-Euh… C’est indiscret …çà touche
aux secrets de l’Eglise, répondit le prêtre mi-figue mi-raisin.
-Ne me dites pas que c’est là
que vous cachez le trésor ou les reliques secrètes, répondit Vincent, du même
ton.
-Non, on a des coffres en Suisse
pour ça, rassurez-vous ! Blague à part, monsieur l’inspecteur, et pour
satisfaire votre curiosité, je vais vous montrer ce que cache cette petite niche. »
Le prêtre s’agenouilla, tira la
pierre vers lui, et glissa sa main pour retirer le fameux trésor…
Vincent ne fut pas très étonné de
voir apparaître le même morceau de bois taillé « ressenti » quelques
instants plus tôt.
« C’est ma relique, ma
façon de ne pas oublier ….Je l’ai ramassé, au lavoir après qu’on ait retrouvé
la pauvre Miranda…
-C’est quoi ?
-Son battoir. Regardez, il y a
ses initiales gravées sur le manche : Miranda Rodriguez…
-Et vous l’avez pris pour éviter
les soucis par rapport aux gendarmes qui ne sont jamais venus ?
-Oui, enfin non, je l’ai pris
sans vraiment réfléchir…
-Vous avez sans doute plus
réfléchi pour le cacher ici, non ? »
Devant le silence contrit du curé
et parce qu’il commençait à trouver l’atmosphère un peu lourde, Vincent quitta
l’église.
S’il n’avait pas accepté cette
invitation à dîner du maire, il serait déjà parti !
Il acheta un bouquet de fleurs et
se rendit au domicile du premier magistrat du village. Son épouse, Marthe, une
petite rousse aux yeux verts le reçut d’un sourire et le remercia pour son
attention.
Vincent fut aussitôt accaparé par
les hommes, également invités pour donner son avis sur tout. Bien évidemment les travaux en
cours et à venir sur les monuments du village tinrent une grande part dans la
conversation. Seule personne à se tenir en retrait, le curé semblait préoccupé.
Ce que l’épouse du maire ne tarda pas à lui faire remarquer, en plaisantant.
Vincent, soucieux de se mettre
dans les bonnes grâces de son hôtesse, lui proposa de l’aide en cuisine, ce
qu’elle s’empressa d’accepter.
« J’espère que vous aimez
les plats mijotés, monsieur. Je vous ai préparé un ossobuco dont vous me direz
des nouvelles.
-J’ai eu vent de vos talents,
effectivement .Je sens que je vais me régaler. Mais dites –moi, j’avais
cru comprendre que votre belle-mère serait des nôtres ce soir. Serait-elle
souffrante ?
-Ahhhhh, ma belle –mère… soupira
Marthe. La pauvre femme a toujours été un peu maladive, enfin moi, je l’ai
toujours connu comme çà. Elle a la maladie d’Alzheimer, avec tout ce que çà
sous-entend comme soucis… Par exemple, moi, elle m’appelle Irma, parce qu’elle
me prend pour ma mère ! Elle me demande toujours de lui préparer de la
paëlla ou des crèmes brûlées, les seuls plats que ma mère ne cuisinait pas, en
plus !
-Cà ne doit pas être facile,
effectivement.
-Mais on s’occupe bien d’elle,
rassurez-vous ! Elle a une personne qui veille sur elle le jour et une la nuit…La maladie agit
lentement, et elle continue à pouvoir tenir une conversation ; mais bien
sûr, elle a son actualité à elle. Bon, je crois que l’ossobuco est
prêt .Vous pouvez porter la cocotte, cher monsieur ? ».
La suite du dîner se passa dans
une ambiance détendue, pour tout le monde, sauf monsieur le curé qui semblait
avoir des problèmes de conscience. Vincent espérait que Miranda ne lui
enverrait plus de message, qu’elle aurait été soulagée de ses découvertes et
pourrait vagabonder en paix, toute âme qu’elle était.
La fin du repas se passa tranquillement,
et Vincent regagna son hôtel, fatigué par l’éprouvante journée.
Le lendemain matin, avant de s’atteler à l’évaluation des futurs
travaux, Vincent eut envie de faire un tour du côté du château, pour admirer la
bâtisse. Il s’approcha des grilles et contempla en connaisseur les deux
tourelles accrochées de chaque côté du bâtiment, la toiture impeccable qui le
recouvrait. Près de la roseraie, une silhouette s’activait, elle ne tarda pas à
remarquer celle de l’homme qui la regardait. S’approchant de lui avec vivacité,
la châtelaine ne tarda pas à être rapidement à sa hauteur. Vincent la salua et
se présenta en expliquant son attrait pour sa demeure. La vieille dame avait
toujours une certaine prestance : coquette, maquillée, habillée avec élégance,
elle souriait à ce monsieur qui avait l’air bienveillant. Elle lui demanda, à
travers la grille, d’une voix mal assurée :
« Nous nous
connaissons ? Votre visage ne m’est pas inconnu….Vous voulez entrer ? »
Vincent tenta de rétablir la
réalité, mais la vieille dame avait déjà ouvert la grille et invitait Vincent à
la suivre tout en s’accrochant à son bras.
« Venez, venez…. Irma va
nous faire une bonne tasse de café. Elle fait le meilleur café du monde depuis
qu’il n’est plus rationné…Vous verrez. ».
Vincent monta les marches du château et aussitôt une jeune femme lui
barra le passage pour entrer dans la demeure. La châtelaine s’en offusqua et
Vincent déclina son identité, qui rassura le cerbère.
« Je vous en prie,
monsieur, passez. Je suis la garde de madame, et cela fait partie de mon
travail de m’assurer que madame soit avec des gens recommandables. Elle n’a pas
toujours toute sa tête crut-elle bon de préciser à voix basse en se penchant
vers lui.
-Je comprends. C’est tout à
votre honneur. Elle m’a invité à prendre une tasse de café…
-Bien, bien,
je vais m’en occuper. Si vous voulez prendre place…
La vieille dame s’installa dans
un petit fauteuil, près d’un guéridon et attendit que Vincent prenne place en
face d’elle. Elle semblait ravie !
« Comme j’ai de la visite,
Irma va nous faire des crèmes brûlées !
Cette perspective avait l’air de
la mettre en joie.
-Je suis gourmande, voyez-vous
et j’adore çà ….
- Moi, aussi, la rassura
Vincent. Moi aussi …
Semblant chercher dans ses
souvenirs, la vieille dame se rembrunit un peu :
-J’aime bien quand Miranda vient
aider Irma, on a toujours de bonnes crèmes brûlées…Puis se rembrunissant, elle
précisa : Mais Miranda est partie, maintenant… »
Respectant son silence, tout en
brûlant de l’interroger, Vincent joua la prudence.
La garde apportait le café, qu’elle posa sur
le guéridon. La châtelaine la remercia, et la renvoya d’un geste de la main.
Semblant suivre le fil de ses pensées, la vieille dame continua :
« Ce n’est pas une mauvaise
femme, elle travaille bien et il n’y a que dans des draps lavés par elle que je
me sens bien… Mais son mari veut l’emmener en ville … Il dit qu’il aura plus de
clients et qu’il pourrait s’agrandir… L’argent, toujours l’argent … C’est pas
bien, hein, monsieur d’emmener Miranda, comme çà ?!! demanda la vieille
dame, visiblement outrée. »
Vincent qui remplissait les
tasses eut l’air d’acquiescer en agitant la tête, ce qui encouragea la vieille
dame à continuer.
« Vous voulez savoir
pourquoi les draps de Miranda sentent si bon ? Avec un petit rire, elle
précisa en baissant la voix : c’est parce qu’elle chante pendant qu’elle
les lave. Elle a une voix magique, et je vais souvent l’écouter quand je me
promène… Je n’aime pas l’interrompre dans son travail. Mais l’autre jour, je
suis allée lui parler ! J’avais entendu son mari parler de ses projets et
je voulais savoir ce qu’elle en pensait…
-Vous lui avez parlé, alors
avança prudemment Vincent.
La vielle dame, ou plutôt sa
conscience sembla s’éloigner. Puis elle continua :
-Oui, on était toutes les deux…
elle lavait nos draps. Elle m’a dit que c’était la dernière fois qu’elle le
faisait !! Cà m’a fait un choc, mais un choc…. Je lui ai dit que ce n’était pas possible,
non, pas possible qu’elle parte, qu’elle nous laisse !Pas possible qu’elle
emmène avec elle ses secrets pour le linge, pour les crèmes brûlées…pour les
chants….Non, c’était pas possible….La châtelaine soupira. Les gens sont d’un
égoïsme !
-Et après, madame, vous l’avez
laissé partir ? Risqua Vincent en essayant de maîtriser le tremblement de
sa voix.
-Elle m’a souri, monsieur, en
disant qu’elle et ses enfants devaient suivre son mari, pour la ville. Que de
toutes les façons, elle ne gagnait plus assez sa vie ici, et que son métier
n’existerait plus avec les machines à laver. Elle n’avait pas l’air si désolée que çà de
nous laisser, voyez-vous !! Elle savait que sans elle, nos vies
changeraient. Alors que tout était parfait !!! »
Visiblement en colère, la vieille
dame semblait rajeunie, et ses yeux jusqu’alors bienveillants semblaient
s’obscurcir.
« Mais je ne l’ai pas laissé
faire !!! Je voulais l’empêcher de
partir…et elle, elle continuait à rincer le linge, tout en racontant sa future
vie, ailleurs, comme si de rien n’était … Alors, je ne sais pas pourquoi … j’ai
voulu qu’elle se taise. Je n’ai pas réfléchit... J’ai vu le battoir près
d’elle… je l’ai pris, et je lui ai donné une bonne tape derrière la tête… Et çà
a marché, elle s’est tu….Elle a même fait semblant de dormir, pour que je la laisse.
Et c’est ce que j’ai fait ! Après, je suis rentrée au château et moi aussi j’ai dormi comme une masse... Je ne l’ai plus
jamais vue … On m’a dit qu’elle était partie quand même !!!!Sans me
dire au revoir, vous vous rendez compte ? »
Cette brusque colère retomba
aussi rapidement qu’elle était montée et la vieille dame ferma les yeux.
Vincent, secoué par ces aveux,
essaya de remettre de l’ordre dans ses idées.
C’était énorme !!!
Il avait le mobile et la
coupable…
Qu’allait-il faire de tout ça ?
A qui en parler ?
Il réussit à se remettre sur
pieds et repartit vers le village, les jambes quand même flageolantes… Puis, de
plein fouet, comprit une évidence : PRESCRIPTION. ..
Il ne pourrait plus rien tenter… Le
meurtre datait de plus de trente ans... Son auteur était une vieille dame
atteinte d’Alzheimer…Qui ne savait pas qu’elle avait tué… Mais ceux qui avaient
couvert cet évènement le savaient, eux…
Regardant sa montre, Vincent se
recomposa une tête, et se rendit sur son lieu de rendez-vous, à savoir le
lavoir. Une remontée acide lui brûla l’estomac, mais il continua son chemin…
Ils étaient tous là : les
coupables, les innocents, à l’attendre…
Quand il le vit, Christian, le
maire s’avança vers lui discrètement et
lui tendit une enveloppe.
« J’ai fait des recherches, dans nos archives d’état
civil. J’ai su que vous vous intéressiez à une ancienne lavandière et je me suis demandé le pourquoi
de cette attention. Cà me paraissait bizarre, mais j’ai compris à la lecture de cette page, que ce n’était
pas une recherche anodine. Vous auriez pu me le demander, tout simplement, j’aurais
compris !
-Compris quoi ??Je ne vous
suis pas … demanda Vincent, abasourdi.
-Ouvrez l’enveloppe, monsieur Label,
s’il vous plaît.
Vincent, les mains tremblantes ouvrit l’enveloppe.
Il sortit une photocopie de registre de l’état
civil.
Une banale feuille, qui se mit à peser une
tonne entre ses doigts, quand il lut qu’elle résumait la vie de :
Miranda,
Guadalupe Rodriguez
Née
à Lugo, Espagne : le 25 mars 1924.
Lavandière
de son état.
Décédée
à Berchères-sur-Vesgre le 25 septembre 1961.
Mariée
à Claude Label, électricien.
Mère
de Maria, et Vincent.
Les yeux s’emplissant de larmes,
Vincent Label retira ses lunettes et …
« COUPEZ !!!!!
C’était MAGNIFIQUE… Bravo à tous !!!!!! MERCI
…
Allez, on remballe... Je suis
sûr qu’on va cartonner avec ce nouveau téléfilm clama le réalisateur.
-Ce sera quoi, déjà le
titre ? demanda l’acteur qui jouait le rôle de Vincent.
-« Un village si tranquille… » .
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